En matière de consommation d’alcool, les jeunes Français se situent dans la moyenne européenne. Efren Barahona / Unsplash
Alcool, tabac, cannabis… Où en est la consommation des jeunes Français ?
2 mars 2021, 18:54 CET
Philippe Arvers, Université Grenoble Alpes (UGA)
Auteur
- Philippe Arvers
Médecin addictologue et tabacologue, Université Grenoble Alpes (UGA)
Déclaration d’intérêts
Philippe Arvers a reçu des financements de l'IREB.
Partenaires
Université Grenoble Alpes apporte des fonds en tant que membre fondateur de The Conversation FR.
Lancé en 1995 en Europe, et en 1999 en France, l’European School Project on Alcohol and other Drugs (ESPAD) constitue la plus grande base de données statistiques validées sur une longue période. Tous les quatre ans, au même moment et avec le même protocole dans une quarantaine de pays européens (35 en 2019), ce projet évalue les usages de drogues chez les jeunes.
Pour sa septième édition, il s’est appuyé, côté français, sur l’enquête nationale (EnCLASS), menée auprès de l’ensemble des élèves du secondaire.
Au total, en 2019, près de 100 000 adolescents européens âgés de 16 ans ont rempli en classe des questionnaires anonymes. Que nous apprennent leurs réponses ?
L’alcool chez les jeunes : dans la moyenne européenne
À seize ans, 80 % des jeunes Français (80 % des garçons et 79 % des filles) ont déjà expérimenté une première fois l’alcool. Par ailleurs, plus de la moitié en ont consommé lors des 30 derniers jours (54 % contre 52 %). Enfin, un gros tiers (34 %) ont bu au cours du mois passé au moins 5 verres en une seule occasion. On parle d’« alcoolisations ponctuelles importantes », ou API. Celles-ci concernent 36 % des garçons et 32 % des filles.
Ces chiffres n’ont pas changé de manière significative par rapport à 2015, exceptés en ce qui concerne les alcoolisations ponctuelles importantes : elles touchaient alors 27 % des filles. Ils sont dans l’ensemble comparables avec les données obtenues dans les autres pays d’Europe.
S’agissant de l’expérimentation de l’alcool, les jeunes Français se situent dans la moyenne : 79 % des jeunes Européens enquêtés ont déjà bu une boisson alcoolique.
Les chiffres les plus faibles sont ceux du Kosovo (29 %), de l’Islande (37 %) et de la Norvège (53 %), et les plus élevés sont ceux de la Tchéquie (95 %).
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En ce qui concerne la consommation récente, c’est-à-dire au cours des 30 derniers jours, les jeunes Français sont au-dessus de la moyenne européenne, qui s’établit à 47 %. Cela vaut pour les garçons (54 % contre 47 % en moyenne au niveau européen) comme pour les filles (52 % contre 46 %). Dans ce domaine, ce sont l’Autriche (63 %), l’Allemagne (65 %) et le Danemark (74 %) qui arrivent en tête, alors que la Suède (25 %), l’Islande (11 %), et le Kosovo (10 %) occupent les dernières places.
Enfin, pour les alcoolisations ponctuelles importantes à 16 ans, la France est dans la moyenne européenne (34 %), loin derrière les pays en tête de classement – Danemark (59 %), l’Allemagne (54 %) et l’Autriche (49 %) – mais bien au-delà des derniers – Norvège (16 %), Kosovo (14 %) et Islande (8 %).
Une tendance à la baisse
Côté évolution temporelle, à partir de 2003, l’ensemble des pays européens a connu une lente diminution des niveaux d’expérimentation de l’alcool. Mais en France, il a fallu attendre 2011 pour voir les chiffres baisser.
On observe la même tendance pour la consommation d’alcool dans le mois, tant en France qu’en Europe.
Pour les alcoolisations ponctuelles importantes, la progression s’est montrée assez stable ces vingt dernières années au niveau de l’Europe. Moins fréquentes en France jusqu’en 2007, elles ont ensuite diminué comme partout.
Le tabagisme : en recul partout
En France, le tabac fait moins d’adeptes que l’alcool à seize ans. L’enquête nous apprend que 45 % des jeunes (46 % des garçons et 44 % des filles) l’ont déjà expérimenté. Par ailleurs, 22 % d’entre eux (21 % et 22 %) en ont consommé lors du mois passé, et 12 % fument tous les jours au moins une cigarette (12 % et 11 %).
Par rapport à 2015, on note une nette diminution de l’expérimentation (45 % en 2019 contre 55 % quatre ans auparavant), aussi bien pour les garçons (46 % contre 54 % en 2015) que pour les filles (44 % contre 56 % en 2015). Mais le tabagisme quotidien, lui, ne semble pas baisser de manière significative (12 % contre 16 %).
Ces chiffres se situent légèrement au-dessus de la moyenne européenne, qui est de 41 % pour l’expérience d’une première cigarette à seize ans, et de 10 % pour le tabagisme quotidien.
Plus précisément, l’expérimentation du tabac à cet âge est plus faible (15 points au moins) à Chypre, en Suède, Norvège, Malte, et en Islande, et plus élevée (10 points de plus) en Italie, Lettonie, et Slovaquie. Quant à la consommation quotidienne des jeunes, elle est deux fois moins fréquente en Islande, Norvège, Malte, Suède, Pays-Bas et Irlande (entre 2 % et 5 %), et deux fois plus fréquente en Italie, Croatie, Bulgarie, Hongrie, Roumanie et Slovaquie (entre 18 % et 20 %).
Vers une homogénéisation des comportements
Depuis 1999, le tabagisme des jeunes diminue dans l’ensemble des pays d’Europe, avec une tendance à l’homogénéisation des comportements. C’est d’autant plus vrai pour la France, qui présentait au départ des niveaux plus élevés que la moyenne (Tableau I) pour l’expérimentation (77 % contre 68 %), le tabagisme mensuel (44 % contre 36 %) ou le tabagisme quotidien (31 % contre 23 %).
Tableau I : Évolution de l’expérimentation du tabac, du tabagisme mensuel et du tabagisme quotidien en France et en Europe depuis 1999. Data Espad 2019, exploitation Philippe Arvers
Soulignons que pour les mineurs, les cigarettes ne sont pas aussi accessibles partout. En France, la vente est normalement interdite aux moins de 18 ans, mais aux dires d’environ 60 % des jeunes Français, il est « facile » ou « très facile » de s’en procurer.
C’est au Danemark (79 %), puis en Suède, Pologne, Slovaquie et Tchéquie (plus de 70 %) que le tabac est le plus souvent perçu par les jeunes comme facile à obtenir, et au Kosovo (24 %) que cela paraît le plus difficile. Et moins de la moitié des jeunes enquêtés jugent la chose aisée en Roumanie (39 %), Ukraine (42 %), Géorgie (45 %), Islande (47 %) et Macédoine du Nord (49 %).
La vape et les jeunes : au-dessus de la moyenne européenne
Dans la note de synthèse qu’il a publié à propos des résultats de l’enquête ESPAD, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) souligne que
« Dans un contexte de baisse du tabagisme, il convient de mieux comprendre les motivations de son usage en population adolescente et dans un premier temps, d’en suivre l’initiation et la diffusion au sein de cette population particulièrement sensible. »
C’est la raison d’être des questions sur l’e-cigarette incluses dans la dernière enquête ESPAD. D’après ses résultats, la cigarette électronique attire davantage les garçons que les filles. En France, 46 % des jeunes se sont laissés tenter par l’e-cigarette (51 % chez les garçons et 41 % chez les filles), et 16 % ont vapoté au cours du dernier mois (20 % chez les garçons et 13 % chez les filles).
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Au niveau européen, l’expérimentation de la vape concerne 40 % des jeunes (46 % des garçons et 34 % des filles), 14 % en ayant fait l’usage dans les 30 derniers jours (16 % des garçons, 11 % des filles). Et de ce dernier point de vue, la France devance une vingtaine de pays, la prévalence étant inférieure à 7 % dans cinq d’entre eux (Monténégro, Géorgie, Suède, Portugal et Serbie). Elle figure de fait dans le tiers supérieur du classement, où arrivent en tête Monaco (41 %), la Lituanie, la Pologne, la Hongrie et la Tchéquie (20 %).
Ajoutons que dans les treize pays où la question leur fut posée, 3,9 à 20 % des jeunes ont déclaré recourir à du liquide contenant de la nicotine, et 16 à 36 % disaient avoir opté pour des arômes.
Cannabis : des niveaux français qui restent élevés
Contrairement à une idée reçue, l’expérimentation du cannabis a fortement diminué chez les jeunes Français : de 39 % en 2011, elle est passée à 31 % en 2015 (34 % pour les garçons et 29 % pour les filles), pour atteindre 23 % en 2019 (26 % pour les garçons et 20 % pour les filles).
On note la même tendance pour le niveau d’usage au cours du dernier mois : de 24 % en 2011, il descend à 17 % en 2015 pour s’établir à 13 % en 2019. Mais en dépit de cette orientation positive, les niveaux observés en France demeurent au-dessus des moyennes européennes.
S’agissant de l’expérimentation, où le niveau moyen chez les jeunes Européens est de 16 %, la France est ainsi classée au 5e rang en même temps que la Slovénie et derrière la Tchéquie (28 %), l’Italie (27 %), la Lettonie (26 %) et la Slovaquie (24 %). Et elle occupe le 2e rang derrière l’Italie (15 %) pour l’usage au cours du dernier mois, loin devant la moyenne européenne (7,1 %)
Enfin, il faut souligner qu’au regard des critères du DSM-V (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) et de la CIM 10 (Classification internationale des maladies), 41 % des consommateurs de cannabis au cours des 12 derniers mois en France (35 % en Europe) en ont un usage problématique. Et si cela ne touche en moyenne « que » 4 % des jeunes en Europe, la France occupe la première place, avec 7,3 % des adolescents concernés (8,3 % des garçons et 6,3 % des filles).
Cocaïne en France, MDMA aux pays baltes
Si le cannabis représente la drogue illicite la plus fréquemment utilisée à l’âge de seize ans, elle n’est pas la seule.
En moyenne, 1 à 2 % des jeunes Européens ont déjà fait une fois l’expérience d’une drogue illicite autre que le cannabis : les plus souvent citées sont l’ecstasy (MDMA), le LSD ou d’autres hallucinogènes, la cocaïne et l’amphétamine ; les moins expérimentées sont la méthamphétamine, le crack, l’héroïne et le GHB (gammahydroxybutyrate).
Depuis 2015, exceptés les solvants et le GHB dont l’usage n’a pas vraiment changé (resp. de 6,2 à 6 %, et taux stable de 1 %), la consommation de ces drogues chez les adolescents d’Europe diminue. Celle de la cocaïne est ainsi passée de 4 à 2,7 %, le crack de 3 à 2,1 %, l’ecstasy de 2 à 1,7 %, l’amphétamine de 2 à 1,5 %, la métamphétamine de 2 à 1,3 %, le LSD de 2 à 1,1 % et l’héroïne de 2 à 1,1 %.
Tableau II : Expérimentation d’autres drogues illicites que le cannabis à 16 ans en France et en Europe (%). * tranquillisants, sédatifs, anti-douleurs et stéroïdes anabolisants. Data Espad 2019, exploitation Philippe Arvers
Aujourd’hui, les jeunes Français expérimentent plus que les autres Européens la cocaïne (2,7 % contre 1,9 %) et le crack (2,1 % contre 1 %), mais moins le MDMA (1,7 % contre 2,3 %). Et les Baltes (Estonie et Lettonie) sont en tête pour le MDMA, le LSD et les autres hallucinogènes (5,0 %).
Par ailleurs, 3,1 % des jeunes Européens enquêtés (dans 20 des 35 pays) disent avoir déjà eu recours au moins une fois aux cannabinoïdes de synthèse : les niveaux vont de 1,1 % en Slovaquie à 5,2 % en France. Et ils sont 1,1 % à déclarer avoir expérimenté un jour des cathinones de synthèse (dans 19 des 35 pays), les niveaux les plus forts étant ceux de l’Irlande (2,5 %) et de Chypre (2,4 %).
L’expérimentation de solvants est quant à elle rapportée par 7,2 % des adolescents européens, avec de grandes disparités selon les pays : c’est préoccupant en Lettonie (16 %), en Allemagne et en Croatie (15 %), mais bien plus rare au Kosovo (0,5 %).
Des variations régionales du même ordre se retrouvent pour les médicaments hors prescription, avec un usage touchant en moyenne 9,2 % des adolescents européens (et des Français), mais 23 % des jeunes Slovaques. Dans le détail, c’est en Ukraine, en Roumanie, en Bulgarie et en Croatie que les jeunes recourent le moins (environ 2,0 %) aux tranquillisants et sédatifs hors prescription. Et c’est en Slovaquie et en Tchéquie qu’ils sont les plus nombreux à se droguer avec des antidouleurs (respectivement 18 % et 10 %).
Dernière catégorie, les stéroïdes anabolisants sont utilisés en moyenne par 1,0 % des adolescents européens. Avec un usage plus fréquent au Monténégro (2,7 %), à Chypre, en Bulgarie, à Malte, en Pologne et en Irlande (près de 2,0 %).
Des usages à surveiller de près
On le voit, si l’expérimentation et les usages de tabac, d’alcool et de cannabis à seize ans sont à la baisse dans l’ensemble des pays européens étudiés, la consommation mensuelle de cannabis place les adolescents français au 2e rang en Europe, et son usage problématique au 1er rang.
Rappelons l’importance des consultations jeunes consommateurs proposées dans la quasi-totalité des départements français. Et la question peut aussi être abordée par les parents, en s’appuyant sur des ouvrages qui font référence.
S’agissant des autres drogues illicites, il conviendra de surveiller attentivement l’évolution des consommations de nouveaux produits de synthèse, notamment des cannabinoïdes dont les jeunes Français font un usage trop fréquent. Et ce, d’autant plus que ces substances, vendues sous forme d’encens, de poudre ou de liquide pour cigarette électronique, peuvent provoquer de graves intoxications.